Source : INSTITUT  DE  RECHERCHES ÉCONOMIQUES  ET  FISCALES- article du Figaro

Les grévistes de la SNCF n’ont pas tous les droits. Si le conflit est long et le pays paralysé, la question de la légalité de cette grève sera posée. Une version de cet article a été publiée sur le site du Figaro (5 avril).

Les cheminots ont choisi de faire grève deux jours tous les cinq jours de façon à  désorganiser le trafic ferroviaire en permanence. Car de l’aveu même de la direction de la SNCF les périodes intercalaires seront à  peine suffisantes pour retrouver un mode de fonctionnement normal de l’entreprise. Autant dire trois mois de galère.


Il ne s’agit pas au demeurant d’une  »  grève perlée  « , illicite, se traduisant par un ralentissement volontaire de la production ou du rythme de travail (Cass. soc. 22-4-1964 n °  61-40.673). Il y bien arrêt de travail de cheminots, et les débrayages successifs des salariés sont admis. Mais le droit de grève n’est pas absolu pour autant. Il est condamnable s’il dégénère en abus caractérisé, c’est-à -dire s’il en résulte une désorganisation de l’entreprise (Cass. soc. 18-1-1995 n °  91-10.476 PB  ; 11-1-2000 n °  97-18.215 PB) et non pas seulement une désorganisation de la production, auquel peut s’ajouter en sus une volonté de nuire.

En l’espèce, il ne faut pas exclure que, du moins à  terme, les éléments soient réunis pour considérer que cette grève des cheminots ne contribue pas simplement à  la désorganisation du trafic, ce qui est le cas de toute grève à  la SNCF, mais également à  celle de l’entreprise.

Le monopole actuel de la SNCF devrait inciter des magistrats à  confirmer que la paralysie longue et quasi généralisée de l’entreprise, aux moindres frais de ses grévistes, peut l’affaiblir durablement à  la veille de l’ouverture de ses lignes à  la concurrence et être assimilée à  une prise d’otage nuisant également gravement aux intérêts des usagers. D’autant plus que le dialogue obligatoire en préalable à  toute grève a fait l’objet d’un simulacre de la part des syndicats. La grève deviendrait alors illicite  : les salariés demeurant grévistes perdraient le bénéfice de la protection légale et pourraient sanctionnés ou licenciés dans les conditions de droit commun.

Ce sera encore plus aisé à  démontrer si le service minimum qui doit désormais être mis en place dans les transports ferroviaires en cas de grève ne peut pas ou guère être assuré en l’espèce. Car le service minimum ne peut être mis en place qu’avec les employés non grévistes. Lorsque ceux-ci sont trop peu nombreux, il y a carence du service. Sauf bien entendu à  recourir à  la réquisition du personnel qui peut être ordonnée par le Gouvernement (Code de la défense art. R 2212-7 ). Mais elle est rarement mise en œuvre car il faut que les perturbations qui en résultent sur le trafic aient pour effet de porter soit à  la continuité du service des transports, soit à  la satisfaction des besoins de la population une atteinte suffisamment grave pour la justifier légalement (CE 24-2-1961 n °  40013).

Ailleurs, le droit de grève est encadré, voire interdit dans les services publics. En 1979, l’une des promesses de campagne de Margaret Thatcher repose sur la réduction des pouvoirs des syndicats. Un thème qui fera mouche dans l’opinion publique  : les grandes grèves des mineurs en 1972 avaient paralysé le pays pendant 7 semaines. Alors que la Grande Bretagne compte plus de 10 millions de syndiqués au début des années 1980, dont la majorité est rassemblée au sein du TUC (Trade Union Congress), entre 1980 et 1982, les conservateurs feront voter deux lois limitant le pouvoir de nuisance des syndicats lors des mouvements sociaux. D’abord en 1980, l’Employment Act restreint le droit de grève en interdisant que le piquet de grève ait lieu à  un autre endroit que là  où la grève a éclaté. Parallèlement, les grèves dites de solidarité, où des professions autres que celles premièrement concernées appellent à  s’allier aux grévistes, sont interdites. En 1982, la loi du secrétaire d’État à  l’Emploi, Norman Tebbit, supprime l’immunité syndicale en cas de grève illégale et introduit le vote à  bulletin secret avant le début d’un conflit social.


Au mois d’août 1981, le président Reagan s’appuie sur une loi oubliée de 1955 interdisant aux syndicats dits  »  gouvernementaux   » de faire grève, et brise la grève des contrôleurs aériens. Le syndicat croit à  un bluff du président, mais ce sont 11.300 salariés qui sont licenciés, remplacés immédiatement par des militaires en attendant de former de nouveaux contrôleurs aériens.


En Allemagne, les fonctionnaires n’ont plus le droit de faire grève. Même les Italiens ont choisi la réforme à  la place de la grève en libéralisant leurs lignes ferroviaires. En 2012, l’opérateur public Trenitalia a été mis en concurrence avec le train rouge du groupe NTV, l’Italo.

Aujourd’hui, plusieurs investisseurs sont présents sur le marché ferroviaire italien, y compris la….SNCF, qui a pris des parts (20  %) sur le réseau à  grande vitesse.


Il faut que la France change et se débarrasse de sa réputation de pays irréformable, sujet aux contestations sociales et aux blocages en tous genres et arc-bouté sur ses privilèges et ses  »  acquis sociaux  « . De vraies réformes sont nécessaires.

Hélas, déjà , le Gouvernement recule en annonçant un échéancier très long pour la mise ne place de la concurrence sur les rails et en jurant tous ses grands dieux que la SNCF ne sera jamais privatisée. Seule pourtant la concurrence obligera l’entreprise nationale à  se transformer pour survivre. Et à  terme la privatisation est inévitable pour que l’entreprise résiste à  ses compétiteurs que les directives européennes imposeront de toute façon.

Pour éviter le blocage des transports et celui de la société, il faut commencer par remettre les syndicats à  leur place et cesser de les nourrir avec l’argent des salariés non adhérents et des contribuables. Les cotisations des membres ne représenteraient que 3 à  4  % du total de leur budget  !

Gavés d’argent public, les syndicats ne cherchent pas à  attirer de nouveaux membres et défendent avant tout les intérêts de leur propre organisation et d’une minorité d’activistes plutôt que les intérêts de long terme des salariés dans leur ensemble.

Quand les syndicats seront obligés de trouver par eux-mêmes les moyens de subsister, ils deviendront naturellement réformistes. Plutôt que de faire la Révolution qui ne leur permettra pas de vivre, ils chercheront à  offrir des services à  leurs membres, comme le font tous les syndicats d’Europe du nord dans un esprit constructif.