Ce sont des extraits d’un article du Figaro   – Publié le 20/05/2016 à  09h07

XVMd5ab5f8c-1dbf-11e6-8899-94bccc5fcd7fREPORTAGE – De l’autre côté du périphérique parisien, le berceau de l’histoire de France avec sa nécropole royale se transforme n « Molenbeek-sur-Seine », attirant les plus radicaux du salafisme. Nous sommes allés à  la rencontre des habitants de certains quartiers devenus des zones de non-droit, où communautarisme et islamisme creusent leurs sillons.

« Daech est aux portes de notre mosquée qu’ils veulent forcer pour imposer leurs lois obscurantistes »

Mosquée Tawhid. Nous sommes à  moins de 200  mètres de la nécropole royale de Saint-Denis, aux portes de Paris et à  quelques stations de métro de l’avenue des Champs-Élysées et de l’Arc de triomphe. Comme chaque vendredi, ils sont 2500 à  3000 à  converger vers le lieu de culte dont la capacité d’accueil ne dépasse pas les 1800 places. Les trottoirs de la rue de la Boulangerie sont alors transformés en une mosaïque de tapis de prière. Dès la fin du sermon, les fidèles se dispersent aussi vite qu’ils sont arrivés. Mais devant les portes de la mosquée, quelques-uns s’attardent, se toisent. La tension monte, les échanges se font virulents, des insultes fusent. Quelques responsables de la mosquée sont obligés d’intervenir pour séparer deux hommes prêts à  en découdre. Karim, chéchia beige sur la tête et djellaba assortie, fait partie des cadres de la mosquée Tawhid. Il ne cache pas la proximité de cette salle de prière avec les Frères musulmans et la présence d’un bureau alloué à   Tariq Ramadan  au sein des locaux.

Mais Karim se dit complètement débordé:

« Notre ville va devenir  Molenbeek! Nous sommes cernés par les intégristes. Daech est aux portes de notre mosquée qu’ils veulent forcer pour imposer leurs lois obscurantistes. »

Très vite, d’autres fidèles se joignent à  la conversation et expriment les mêmes mots de colère et de crainte face à  la violence, aux intimidations, aux thèses intégristes et antirépublicaines. « Certains d’entre nous, jugés trop libéraux, sont parfois agressés, insiste Karim. Les intégristes ciblent les jeunes et les plus fragiles pour les rallier à  leur cause. Ils ne sont pas nombreux mais terriblement toxiques et veulent s’emparer à  tout prix de ce lieu de culte pour asseoir leur empire. Ils ne veulent rien lâcher. Notre mosquée est toute proche de la basilique de Saint-Denis. Nous sommes à  deux pas des sépultures des rois de France et de Charles Martel qui a arrêté l’invasion des musulmans en 732. Le symbole est fort pour cette poignée de fous d’Allah. Mais nous refusons de céder. Alors, ils nous ont désignés comme leur ennemi. Et la tension monte ici, chaque jour un peu plus. »

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« On trouve de plus en plus de boutiques de vêtements islamiques, des restaurants halal ou des librairies religieuses. Et certains coiffeurs se spécialisent pour la clientèle voilée »

(Abdallah, propriétaire d’un restaurant)

Non loin de l’université et à  quelques encablures de la mosquée Tawhid, Abdallah est attablé à  un café situé rue de la République, cette artère piétonne, commerçante, très fréquentée au cœur de la ville. Abdallah est français d’origine tunisienne. Travailleur déterminé à  réussir, il est, à  30  ans, un jeune entrepreneur propriétaire d’un restaurant. Il se décrit comme un musulman très pratiquant, fait ses cinq prières quotidiennes, ferme son restaurant la journée pendant le mois du ramadan et envisage le pèlerinage à  La  Mecque. Il se dit très attaché à  la France, ce pays où il est né et a grandi. En buvant son café, il peste contre ces jeunes filles drapées de noir en jilbab. « Saint-Denis a beaucoup changé, confie Abdallah. Les magasins deviennent communautaires. On trouve de plus en plus de boutiques de vêtements islamiques, des restaurants halal ou des librairies religieuses. Et certains coiffeurs se spécialisent pour la clientèle voilée. » Il manque de s’étrangler avec son café quand trois silhouettes fantomatiques apparaissent en niqab. « Nous sommes en plein cœur de la rue de la République, s’insurge-t-il. Ces tenues sont interdites, mais les lois de cette même République sont bafouées, ici dans cette rue qui porte son nom. Saint-Denis, comme bien d’autres villes de banlieue, devient une zone où le droit n’est plus respecté. »

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Dans le centre de Saint-Denis, de plus en plus de magasins se spécialisent pour les besoins de la clientèle voilée. Robes traditionnelles ou voiles plus ou moins couvrants, l'offre est riche et les clientes viennent de tout le département pour se fournir.

Dans le centre de Saint-Denis, de plus en plus de magasins se spécialisent pour les besoins de la clientèle voilée. Robes traditionnelles ou voiles plus ou moins couvrants, l’offre est riche et les clientes viennent de tout le département pour se fournir.  

« Si les radicaux croisent des femmes non voilées ou non musulmanes dans la rue, ils bloquent les trottoirs pour les empêcher de passer, les obliger à  se détourner et les terroriser en les dévisageant… »

(Abdallah, propriétaire d’un restaurant)

La colère du jeune homme n’est pas feinte. Choqué par  les attentats qui ont frappé le pays, Abdallah explique être régulièrement sollicité par des individus essayant de le convaincre de faire le djihad en Syrie ou en France. « Je ne comprends pas cette haine. À la mosquée, beaucoup se sont réjoui  des attentats à   Charlie Hebdo. Depuis, je reçois des messages sur mon compte Facebook pour m’inciter à  partir en Syrie. Autour des mosquées, à  la sortie de la prière, les radicaux essayent de me lessiver le cerveau en m’expliquant que, si je ne veux pas partir, je dois tout faire en revanche pour barrer le chemin aux mécréants ici. » La suite du récit d’Abdallah est troublante. Il évoque des stratégies mises en place par ces intégristes. Il y est question de rétrécir le chemin des mécréants, les étouffer, les terroriser. « Leur stratégie consiste à  occuper l’espace. S’ils croisent des femmes non voilées ou non musulmanes dans la rue, ils bloquent les trottoirs pour les empêcher de passer, les obliger à  se détourner et les terroriser en les dévisageant… C’est ridicule mais aussi effrayant! »

Élisabeth, elle, n’est pas le genre de femme à  se laisser effrayer facilement. Amoureuse d’art et de littérature, dionysienne au caractère affirmé, elle refuse de lâcher le moindre espace au communautarisme. Mariée à  un Algérien, elle explique sa volonté d’éduquer sa fille dans le respect des deux cultures. Élisabeth et son époux l’ont donc inscrite à  un cours d’arabe dispensé par une association hébergée par la mosquée Tawhid. « Lorsque j’ai demandé à  voir le règlement, on m’a tendu un livre avec des préceptes religieux, intitulé  Les Règles lumineuses. Nous avons insisté pour dire que nous ne voulions pas entendre parler de religion. La professeur s’est montrée rassurante. Cependant, dès le premier cours, notre fille de 10  ans a été affublée d’un voile sur la tête, on lui a expliqué que les jupes trop courtes étaient indécentes. On l’a obligée à  faire ses ablutions et la prière, puis on lui a fait répéter la même phrase du Coran en boucle pendant deux heures. Traumatisée, elle a refusé d’y retourner car, selon elle, avec cet exercice, on l’empêchait de réfléchir. »

Féministe et aussi laïque, Sarah Oussekine est une des figures militantes incontournables de Saint-Denis. Présidente de l’association Voix d’Elles rebelles, elle œuvre depuis des années pour libérer la parole des femmes. Militante de terrain, elle désespère de son combat à  mesure que le communautarisme et l’intégrisme ont gagné du terrain dans les quartiers mais aussi dans les esprits. Amère, Sarah raconte ces jeunes garçons qui refusent soudainement de lui faire la bise, ces filles autrefois coquettes portant aujourd’hui le jilbab ou le niqab: « Dans les quartiers, ces signes ostentatoires sont pour eux un symbole de réussite. Ils sont perçus comme l’élite… » Sarah, lucide, dresse son propre constat d’échec face à  ces mosquées qui ont grossi beaucoup plus vite que son association: « Je connais bien le problème des intégristes gravitant autour des salles de prière et en particulier de la mosquée Tawhid. J’ai perdu deux militantes féministes là -bas. Très investies, elles ont longtemps travaillé à  mes côtés pour défendre les droits des femmes. En fréquentant ce lieu de culte, elles ont été happées par une idéologie obscurantiste. Elles ne me parlent plus, ne répondent plus à  mes appels, portent le voile et sont convaincues d’avoir fait le bon choix. »

Le centre Tawhid accueille également une association qui dispense du soutien scolaire et des cours d'apprentissage de la langue arabe pour les enfants.

Hassan, brillant lycéen en terminale S, rêve d’une carrière dans le journalisme. Fervent musulman, il fréquente, lui aussi, assidûment la mosquée Tawhid et se souvient des propos haineux après le massacre perpétré par les frères Kouachi: « Beaucoup se sont réjouis, évoquant l’argument du blasphème. Aucun ne voulait entendre parler de liberté d’expression. Les attentats suivants ont tout changé. à‡a a été un choc pour toute la communauté musulmane. Ici, on vit encore ensemble, les nationalités se mélangent. Les jeunes sont plus dans le shit et le rap que la kalachnikov et le Coran. Cependant, le vrai problème c’est ce « laisser-faire » installé depuis quelques années. Les trafics de drogue se font au grand jour. La police ne fait pas grand-chose. Les intégristes gangrènent nos mosquées. On a là  tous les ingrédients. Le terreau, la graine, il n’y a plus qu’à  arroser et attendre… Mais attendre, c’est prendre le risque de voir Saint-Denis ou d’autres villes de banlieue devenir des Molenbeek. »